Solvabilité 2, l’incertitude : une réalité

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Cet article a préalablement été publié en anglais le 13/10/2014. Toutes les citations directes doivent être confrontées à leur version originale en anglais.
Incertitude. Le mot est indissociable, presque synonyme, de Solvabilité II. L’incertitude est souvent abordée dans le contexte de la conformité réglementaire. On en parle moins fréquemment comme d’un obstacle aux activités quotidiennes et habituelles des assureurs.
Les doutes quant à la date de début de Solvabilité II se sont pour ainsi dire dissipés. Mais les questions relatives au calendrier, et plus récemment, aux Actes délégués ont cédé la place à une nouvelle série d’incertitudes.
Les sociétés ne peuvent plus considérer Solvabilité II comme quelque chose qui va se produirer « dans un futur indéterminé ». Des décisions concrètes doivent être prises maintenant. Des formulaires doivent être renseignés avec des chiffres réels et des budgets alloués. Pourtant, certaines exigences, formules et normes ne seront explicitées que l’année prochaine, et d’autres encore seront laissées à l’appréciation des autorités réglementaires nationales. La combinaison de délais concrets et de règles incertaines place certaines sociétés dans la situation difficile de devoir faire des plans à long terme sur la base d’hypothèses et de principes théoriques.

L’incertitude fait partie intégrante des règles

Solvency II uncertainty A reality 4Depuis le début de l’année, l’idée qui prévaut est celle selon laquelle les assureurs sont en retard dans leurs travaux dans le cadre du Pilier III, alors que les travaux dans le cadre du Pilier I sont dans une grande mesure gérables. Toutefois, pour les sociétés qui dépendent fortement des mesures de garanties à long terme (LTG) pour leur modèle d’activité, les incertitudes qui subsistent peuvent représenter un défi considérable.
L’incertitude fait partie de la règle par construction. Par exemple, les règles sur l’utilisation de l’ajustement égalisateur (Matching Adjustment), qui permettent une réduction des besoins en capital pour un portefeuille dont les actifs sont parfaitement alloués aux passifs, ne définissent pas totalement une liste fermée des actifs admissibles. La Directive ne définit au lieu de cela que certaines caractéristiques comportementales de l’ensemble du portefeuille d’actifs qui ouvrent le droit à l’ajustement égalisateur.
Au Royaume-Uni, où cette mesure est favorisée, une récente communication de l’autorité de contrôle prudentiel (Prudential Regulatory Authority ou PRA) expliquait qu’elle n’était pas en mesure de définir une « liste fermée » des types d’actifs acceptables. Les sociétés doivent plutôt faire preuve de discernement, et examiner avec soin leur conformité aux critères énoncés dans la Directive ».
L’EIOPA a publié une liste des grandes classes d’actifs qui seront admissibles et non-admissibles à l’ajustement égalisateur (Matching Adjustment), mais comme le souligne la PRA, « l’admissibilité des actifs se juge au cas par cas ».
Pour le secteur, la planification n’en est que plus difficile. Un manager chez un assureur spécialisé en rentes au Royaume-Uni a expliqué que le principal impact des mesures de garanties à long terme a trait à la capacité de la société à valoriser les activités dans la mesure où elle doit veiller à ce que les actifs qu’elle détient sont compatibles avec l’exigence de garanties à long terme. « L’incertitude autour de ces questions est incroyablement frustrante car nous devons maintenant procéder à des investissements que nous détiendrons à très long terme, en supposant qu’ils seront compatibles avec l’ajustement égalisateur », a-t-il indiqué sous couvert d’anonymat.
« Nous ne pouvons pas suspendre nos activités en attendant que la PRA décide ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Il existe donc un risque important que notre interprétation des conditions d’éligibilité des éléments d’actif et de passif au titre de l’ajustement égalisateur s’avère incorrecte ».
L’incertitude s’étend également à d’autres mesures LTG. Les calibrages définitifs de l’Ajustement de volatilité ne seront connus que lorsque les Actes délégués seront finalisés (après la réaction du Parlement et du Conseil), mais certains de ses éléments plus techniques sont encore à définir.
Solvency II uncertainty A reality 3L’Ajustement de volatilité permet une réduction des exigences en capital sur la base d’une proportion de l’écart corrigé en fonction du risque avec le taux d’intérêt susceptible d’être produit par un portefeuille de référence. La composition du portefeuille de référence sera définie par l’EIOPA. Les États membres peuvent également décider si l’Ajustement de la volatilité exigera une pré-approbation par les autorités de surveillance nationales, ce qui complique encore davantage la planification des sociétés.
L’absence de clarification des deux mesures est un obstacle à la planification des projets d’investissement des assureurs, selon Erik Vynckier, responsable des investissements en assurance (EMEA) chez Alliance Bernstein. « Les assureurs « n’optimisent » pas en ce moment leur bilan en vue de Solvabilité II. D’une part, les détails ne sont pas encore suffisamment clairs, et il est possible que les autorités de réglementation nationales adoptent des interprétations particulières ou appliquent des orientations supplémentaires au Pilier II. Une optimisation prématurée pourrait nous desservir ».
Solvabilité II n’est pas le facteur moteur, car les assureurs doivent rester capitalisés en vertu des règles actuelles en 2015, mais certainement un obstacle majeur à une stratégie d’investissement, a-t-il ajouté. « Nous constatons en fait que les assureurs anticipent et n’approuvent de nouvelles stratégies d’investissement que si elles semblent, au vu de la compréhension que l’on en a actuellement, être bien reçues dans le cadre de Solvabilité II ».

Des consultations supplémentaires à venir

Certaines mesures qui nécessiteront une approbation des autorités de surveillance n’ont pas encore fait l’objet de consultations. Solvabilité II permettra le recours à deux mesures transitoires pour les sociétés en existence avant la date de sa mise en œuvre : des taux d’intérêt sans risque (articles 308c) et des provisions techniques (308d). Dans sa récente consultation (CP 16/14) publiée en août, la PRA a indiqué qu’elle procéderait à des consultations sur toutes les modifications de règlements nécessaires à une date ultérieure. « À l’heure actuelle, on ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de quantifier précisément l’impact des changements des règlements de la PRA », indique le document.
Selon Oliver Wareham, un associé de Slaughter and May : « On ne sait pas encore dans quelles circonstances la PRA permettra l’utilisation des mesures transitoires relatives aux taux d’intérêt sans risque et aux provisions techniques, et on ne connaît pas encore les modalités d’intégration de ces mesures aux scénarios de stress dans les calculs du SCR ».
D’une manière générale, le pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités de surveillance nationales peut aggraver les difficultés pour les entreprises, selon M. Wareham. « Bien que la directive vise à l’harmonisation maximale, je pense que les autorités de surveillance nationales continueront à adopter des approches divergentes dans de nombreux domaines, et les entreprises devront faire face à des incertitudes quant aux modalités d’interprétation des règles par les autorités de réglementation nationales et au choix éventuel de l’application d’une « surréglementation ».

Une pression supplémentaire sur les sociétés ayant opté pour un modèle interne

Les problèmes décrits ci-dessus sont encore exacerbés pour les sociétés qui envisagent d’avoir recours à un modèle interne, dans la mesure où elles doivent obtenir l’approbation de ce modèle avant la date de mise en œuvre. De plus, une demande ne peut être acceptée ou rejetée que dans son intégralité. Les délais serrés ne laissent que peu de marge de manœuvre si les sociétés doivent procéder à plusieurs tentatives.
Les autorités de surveillance nationales ne peuvent pas encore traiter les demandes de manière formelle, mais elles ont entrepris un dialogue actif avec les entreprises. L’approche des autorités de surveillance en matière de communication des retours et sa capacité de traitement du volume des demandes seront d’une importance cruciale.
En Allemagne, sept organismes d’assurance sont en phase de précandidature, un nombre qui devrait continuer à augmenter. Un porte-parole de la BaFin a confié à Solvabilité II Wire que plusieurs compagnies d’assurance ont annoncé leur intention de présenter une demande après cette première vague. Conformément à la Directive, les autorités de réglementation allemandes ne limitent pas les modalités de représentation des demandes. « Une entreprise peut envoyer une lettre de demande au moment de son choix. Le résultat de demande dépendra de quand et comment l’entreprise répond aux exigences Solvabilité 2, selon le porte-parole.
Solvency II uncertainty A reality 5En Irlande, où 18 entreprises sont en phase de pré-candidature, un porte-parole des autorités de surveillance a indiqué que : « La Banque centrale d’Irlande travaille en étroite collaboration avec toutes les entreprises d’assurance et de réassurance participant actuellement au processus de pré-candidature au modèle interne et communique un feedback permanent sur les domaines dans lesquels le modèle interne ne répond pas aux exigences ».
Si la demande formelle d’une société d’assurance est rejetée, celle-ci peut présenter une nouvelle demande. « Une fois que la société d’assurance ou de réassurance a remédié aux déficiences identifiées par l’autorité de surveillance, elle peut présenter une nouvelle demande », a précisé le porte-parole.
La PRA au Royaume-Uni n’a pas révélé le nombre des sociétés en phase de pré-candidature, mais des sources proches de ses activités estiment ce chiffre à environ 40 à 50 entreprises. Un porte-parole de la PRA a indiqué que celle-ci travaillait avec un « grand nombre de sociétés » en pré-candidature et qu’il prévoyait que beaucoup d’entre elles présenteraient une demande officielle l’année prochaine. « Certaines entreprises ont toutefois déjà choisi lors de la phase de pré-candidature de ne pas demander l’approbation de leur modèle à ce stade, et il est possible que d’autres prennent une décision similaire d’ici avril prochain. »
Comme dans les autres États membres, les entreprises britanniques peuvent présenter une nouvelle demande au moment de leur choix, mais la PRA a averti que la nouvelle demande devrait remédier aux carences à l’origine du rejet. « L’intention de présenter une nouvelle demande doit faire l’objet d’une discussion avec l’équipe de surveillance de la PRA de la société », a déclaré le porte-parole.
La PRA dispose de six mois pour parvenir à une décision sur le modèle de l’entreprise. « Les demandes présentées à nouveau après le 30 juin 2015 ne peuvent être examinées à temps pour la date de mise en œuvre de Solvabilité II du 1er janvier 2016 », a mis en garde le porte-parole.
L’EIOPA a expliqué que la norme technique d’implémentation proposée en ce qui concerne le processus d’approbation du modèle interne prévoit une communication permanente entre les autorités de surveillance et la société au cours de la phase d’approbation. « Les normes d’implémentation techniques prévoient également la possibilité de demandes d’ajustements au modèle interne par l’autorité compétente nationale avant la prise de la décision », a déclaré un porte-parole de l’EIOPA. « Il peut y avoir des cas particuliers où l’autorité compétente nationale estime que la demande pourrait être approuvée sous réserve de conditions ».

Intéraction avec les règlements nationaux

Dans certains cas, même si les règles sont claires, les entreprises peuvent se trouver en difficulté en raison des ambiguïtés entre le droit européen et les initiatives nationales.
Les compagnies d’assurance en run-off peuvent se trouver suspendue à l’approche des autorités réglementaires retenue pour garantir la meilleure protection des assurés.
Solvency II uncertainty A reality 2Solvabilité II prévoit un certain nombre de dérogations et mesures transitoires, y compris deux mesures transitoires connexes pour les entreprises en run-off qui restent en vigueur jusqu’en 2021 (si l’entreprise est également en « mesures d’assainissement ») ou 2019 (si ce n’est pas le cas). Mais selon Chris Finney, associé à Edwards Wildman, elles ne seront que d’une utilité très limitée dans la pratique. « Qui en bénéficie jusqu’en 2019, et qui en bénéficie jusqu’en 2021. Cen’est pas clair puisque Solvabilité II et la loi britannique proposée ne sont pas totalement harmonisées. Il peut donc être difficile de déterminer si une entreprise peut ou non prétendre au bénéfice de ces mesures pendant la période plus longue ».
Ces questions sont plus pressantes pour les entreprises qui ne seront pas en mesure de satisfaire au MCR dans le cadre de Solvabilité II. « Si une entreprise ne respecte pas l’exigence de MCR, et n’est pas en mesure de remédier à cette situation dans un délai de 3 mois, la PRA sera tenue en vertu de Solvabilité II et de la loi du Royaume-Uni, d’annuler son agrément au titre de la partie IV avant de demander sa liquidation. La PRA disposera également du pouvoir discrétionnaire en vertu de la législation du Royaume-Uni de retarder l’annulation et la liquidation dans l’intérêt des assurés ».
Les assureurs mutualistes du Royaume-Uni avec des fonds de participation aux bénéfices font également partie des groupes piégés par des règlements contradictoires.
Les règles de séparation des comptabilités, combinées avec la définition britannique de la participation aux profits, sont source d’incertitude quant à la situation future de ces sociétés en termes de capitalisation, selon Martin Shaw, Directeur général de l’Association des Mutuelles financières. « Cela encourage les mutuelles à faire preuve d’une plus grande prudence quant aux perspectives. Par exemple s’agissant de saisir les opportunités offertes par les récentes déclarations de politique de la FCA et de la PRA sur le capital mutuel », a indiqué M. Shaw.
L’impact global de l’incertitude est un frein à la prise de décision à long terme. « Certaines mutuelles doivent retarder des décisions stratégiques clés ou remettre à plus tard des investissements.
D’autres évitent le lancement de nouvelles activités dans l’attente d’une plus grande certitude. Cela intensifiera encore la pression sur les ressources à plus long terme et augmentera les coûts de la mise en conformité ».

Transparence

Paradoxalement, le secteur dans lequel les entreprises semblent être le moins préparées – celui des rapports – est celui qui est le mieux explicité et qui a potentiellement l’impact le moins perturbateur sur les activités ordinaires des assureurs.
Selon un expert en matière de rapports appartenant à un assureur de premier plan au Royaume-Uni, l’entreprise ne constate pas à l’heure actuelle d’impact significatif sur ses activités habituelles, et ce malgré le travail important dans le cadre du Pilier III. « Les changements proposés aux rapports habituels dans le cadre des exigences de Solvabilité II sont fondés sur certains principes de base qui ne devraient pas changer de façon significative », selon cet expert. Il s’agit en particulier des délais de communication des rapports et des principes comptables qui reposent principalement sur les IFRS.
L’incertitude affecte toutefois les travaux à un niveau plus granulaire, à la fois pour les cellules spécifiques des modèles de rapports trimestriels (QRT) et la définition des actifs.
Lorsque les informations relatives à des cellules spécifiques ne sont pas claires, la société a mis en place des directives internes. Les questions plus importantes sont soumises à l’EIOPA par l’intermédiaire de son dispositif de questions et réponses.
« Dans l’attente d’une réponse, nous faisons des hypothèses au niveau interne en espérant que la réponse définitive n’exige pas une modification importante », a ajouté l’expert. Lorsque nous nous trouvons confrontés à différents points d’incertitude mineure (et il y en a beaucoup), nous mettons au point des solutions pragmatiques sur la base d’hypothèses. »

Codes de classification des données sur les actifs

Solvabilité II permet aux entreprises de classer les actifs en fonction de l’exposition au risque de l’assureur. Elle vise ainsi à l’obtention d’un profil de risque du portefeuille plus pertinent. Le Code d’identification complémentaire (CIC) institué dans le cadre de Solvabilité II associe les caractéristiques d’un actif et son exposition au risque de sorte que la classification peut changer en fonction de l’usage fait par l’assureur de l’actif d’un portefeuille.
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Clara Yan, Director, UBS Delta, explique l’impact en terme de charge de travail pour l’assureur, du fait de l’élaboration de rapports. « Les clients font des interprétations différentes pour les mêmes actifs – en particulier, en ce qui concerne les Codes d’identification complémentaires et le code de la Nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne (NACE), lorsqu’il n’existe aucune norme de classification sectorielle ».
L’impact en terme de travail devra être pris en considération. «Solvabilité II implique une part d’incertitude. Nous nous attendons à devoir apporter des changements à nos rapports QRT à mesure de la réception de clarifications de l’EIOPA ».
Un certain nombre de zones d’incertitude font toutefois obstacle à l’adoption par les sociétés d’une solution holistique et opportune, selon l’expert en matière de rapports. « Il s’agit en particulier des états nationaux spécifiques (ENS), des détails définitifs des exigences en matière de rapports de la BCE ainsi que, bien sûr, des textes de niveau 2 et 3 non finalisés ».
Il existe également des spéculations selon lesquelles les autorités de surveillance nationales de certains États membres demanderont une forme d’audit externe des provisions techniques sous Solvabilité II. Au Royaume-Uni, il est possible que ceci s’applique également aux sociétés plus grandes ne demandant pas de modèle interne.

L’incertitude. Une réalité.

Les Actes délégués ont maintenant été publiés, et donnent l’illusion de clarté et de certitude. Beaucoup de choses seront désormais éclaircies, mais ce n’est pas le cas pour tout. Les entreprises doivent gérer les changements réglementaires parmi la multitude de facteurs pouvant affecter leurs activités. Il serait souhaitable d’avoir plus de certitudes en ce qui concerne Solvabilité II ; on préfèrerait également vivre dans un monde avec plus de certitudes.

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Cet article a préalablement été publié en anglais le 13/10/2014. Toutes les citations directes doivent être confrontées à leur version originale en anglais.

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